Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Thierry Germain
1 septembre 2007

Douloureuse Russie

Douloureuse Russie ; journal d’une femme, en colère 

Anna Politkovskaia 

Editions Buchet-Chastel,                                                                            

septembre 2006, 300 p., 25 €.

par Thierry Germain                                                                

Gæalina Starovoïtova était l’une des dirigeantes du mouvement démocrate russe. Elle est morte assassinée dans le hall de son immeuble, le 20 novembre 1998. Elena Tregoubova était une journaliste très critique envers Vladimir Poutine. Ayant de peu échappé à un attentat à la bombe, elle a choisi de quitter le pays. 

Anna Politkovskaïa est restée. Elle est morte assassinée dans le hall de son immeuble, le 7 octobre dernier. «Ai-je peur ? ». Ainsi conclutelle son dernier ouvrage. Non la dernière phrase – elle n’aurait pas aimé qu’il y en eut une. Le dernier chapitre, qu’elle nomme « conclusion ». « Ai-je peur ? » Pas pour elle. Pour la Russie. « Peut-être ne serai-je plus de ce monde, mais il ne m’est pas indifférent de savoir  comment vivront mes enfants et mes petits enfants ». Un peu pour elle quand même. Lucide : « Je vois tout, que ce soit le bien ou le mal ». Mais déterminée : « Je me refuse de me cacher et attendre des jours meilleurs dans ma cuisine, comme le font les autres ». Alors elle dit tout, le bien un peu, mais le mal surtout, tellement le mal. 

La Russie d’Anna, tout au long des pages de son journal de colère, ce sont des députés intimidés par des sacs d’organes humains qu’on leur lance par la fenêtre ; c’est le ras-le-bol grandissant exprimé dans ce « vote contre tous » qui ne cesse de progresser ; c’est Poutine affirmant : « A quoi peut bien servir une émission qui invite des perdants » ; c’est la propiska, cette carte d’identité qui attache le Russe là où il vit ; c’est une pantalonnade présidentielle dans laquelle un leader présente son garde du corps quasi-analphabète, pendant qu’un autre, enlevé et drogué au sérum de vérité, finit piteusement par se réfugier à Londres ; ce sont les incessantes exactions de l’armée ou l’affligeante hypocrisie des oligarques et des popes. 

La Russie d’Anna, ce sont ces disparus tchétchènes qui rythment son journal, et comme une sombre respiration, cette même phrase lancinante et brutale avec chaque fois un autre nom, une autre vie : « Personne ne sait où il/elle se trouve ». La Russie d’Anna, c’est la dramatique, la douloureuse,  l’inexcusable et pourtant si compréhensible résignation du peuple, de son peuple, comme si le long calvaire des Russes à travers siècles et régimes ne devait jamais cesser, comme si un ironique destin, inflexible et tenace, avait choisi de faire sur cette terre et pour eux, toujours, comme une antichambre de l’enfer. 

La Russie d’Anna fait mal au coeur et aux tripes. Celle de Daniel, l’orphelin, « chandelle qui brûle dans l’obscurité ». Celle de cette autre enfant, portée par son frère, et protégée du froid par une mince couche de papier peint. Celle de Nadejda et d’Alexandre,son fils tué en Tchétchénie, maman brûlante de douleur et de revanche. Celle d’Hurcheda Sultanova, massacrée à 9 ans en plein Moscou par des skinheads, parce que tadjike.  « Le soir tombe sur la Russie. Les nains ont des ombres immenses » entend Anna au plus profond des rues de Moscou, là où se disent les mots que même le pouvoir ne peut saisir. Le soir tombe, et le froid. Bernard Guetta, quel fatal enchaînement des hommes et des consciences fait que vous avez dû écrire ce peu de mots pourtant si justes, et si douloureux : Anna est morte « comme meurent, à l’automne, les dernières fleurs du printemps, victimes du froid qui revient »1 ? Un froid qui est un peu le nôtre.Un froid mortel qu’il serait plus mortel encore d’ignorer. Un froid qui nous guette puisqu’il est partout et puis nulle part, vaincu souvent puis encore vainqueur.Un froid qui court l’Histoire et le monde. Un froid qui aura eu raison d’Anna. Le froid d’Anna. Lisez son livre. 

1 - L’Express, 12 octobre 2006, 

par Thierry Germain 

Publicité
Publicité
Commentaires
Thierry Germain
Publicité
Albums Photos
Archives
Publicité